L'Imprimerie nationale française mettra-t-elle sa typothèque à l'encan ?

Les « exotiques trésors » du Cabinet des poinçons

Par Jef Tombeur (Convention typographique)

Le Cabinet des poinçons de l'Imprimerie nationale est, pour résumer, la typothèque traditionnelle de cette entreprise, soit des poinçons servant à percuter des matrices, ces matrices et les caractères en plomb qu'elles servent à fabriquer. Outre les types et sortes françaises (Garamont, Grandjean, Jaugeon, Luce et Didot, etc., pour les plus connues), cette collection inclut un très large assortiment permettant la composition dans la plupart des langues dites mortes et rares ou considérées « exotiques » par le public occidental (écritures arabes, chinoises, extrêmes orientales…). En voici une trop brève évocation.

Survolons séquentiellement la partie consacrée aux écritures étrangères de cet imposant ouvrage qu'est Le Cabinet des poinçons de l'Imprimerie nationale (1963). L'ordre alphabétique et les appellations retenues font que l'écriture dite anglo-saxonne ouvre cette partie, forte des deux-tiers de la pagination, réservée aux « types étrangers ». Ils ne seront sans doute pas mis à l'encan, mais sous le boisseau, si rien n'est fait pour les en faire ressurgir. Mais nul doute qu'ils ne trouveraient de nombreux preneurs, de Beijing à Lima en passant par Alexandrie, d'Oslo à Camberra. Mais bien sûr, divers pays, dont l'Italie, pourraient en exiger aussi le rapatriement.

annamite

Les mots de l’annamite ont été longtemps transcrits en caractères chinois, puis en caractères démiotiques (locaux), mais pendant assez longtemps, chaque mot fut rendu en ayant recours à deux « idéogrammes » (chu nho, chinois, et chu nôm, écriture en caractères démiotiques), l’un idéographique, l’autre reflétant la valeur phonétique. Cette écriture est aussi parfois dite chu han (chu’ hán). L’écriture nôm est vietnamienne (ou viet ngu, laquelle rend compte du tieng viet, soit du son, de l’oralité du vietnamien), mais peu commode à pratiquer. Elle apparaît au XIVe siècle. L’écriture nôm n’eut pas le succès escompté par son concepteur, un poète, car les missionnaires occidentaux commencèrent, à partir du XVIIe siècle, à adapter les caractères latins en leur adjoignant des signes diacritiques. Voir, plus loin, turcs et vietnamien.

La gravure d’après photographies et la galvanoplastie de caractères gravés sur bois ont permis la réalisation de 231 idéogrammes de corps 10 et de 925 de corps 16, conservés par le Cabinet des poinçons de l’Imprimerie nationale.

anglo-saxon

L'écriture dite anglo-saxonne couvre des langues telles les kentien, mercien, saxon, etc., mais permet aussi, en allant prélever des accents dans d'autres fontes de caractères, la composition du gaélique irlandais. Le Cabinet comprend aussi des matrices de types irlandais provenant de l'Imprimerie de la Propagande, héritière de la typothèque papale de Grégoire XIII, où, vers 1760, l'abbé Ruggieri forma J.-B. Bodoni. Cette imprimerie, comme les Typis Sacrae Congregationis de propaganda fide ou autres Typographia Polyglotta, rivalisaient avec l'Imprimerie royale, puis d'État et impériale, en ces domaines. Les établissements français avaient d'autres visées, notamment coloniales (ainsi du projet d'imprimer un Qorân pour se concilier les Marocains, au XIXe siècle).

Les 56 poinçons en acier, corps 9, dûs à Marcellin Legrand en 1836 ont tenu compte du fait que le vieil anglais « se transcrit communément aujourd'hui en écriture romaine » et les lettres spéciales de Legrand avaient été conçues « pour s'aligner avec la plupart des corps romains et italiques ».

arabe(s)

L'écriture coufique (de Koufa, Irâq) est composable à l'Impr. nat. grâce à l'emploi de 181 poinçons de cuivre (corps 14 ou 44) dûs à Renard en 1806.

La karmatique (nom issu de Hamdân, doctrinaire né à Qarmat), reproduisible grâce aux 432 poinçons du même Renard, est aussi dénommée coufique fleuri, en raison de la présence d'ornements.

L'arabe maghrébin ou occidental de l'Impr. nat. provient de Florence (Imprimerie des Médicis, 1881) : à ces 374 poinçons d'acier se sont ajoutés, en 1846, 142 autres dans le corps 24. Un maghrébin 17 (181 poinçons) s'ajouta en 1850.

Les naskhî (ou types orientaux) proviennent aussi de l'Imprimerie de la Propagande (poinçons de 1638 ou 1639 importés en 1798). L'Imprimerie impériale les employa pour la grammaire arabe d'A.-I. Sylvestre de Sacy (1810). Les arabes d'Avicenne (c. 17, 353 poinçons d'acier, dus à Granjon en 1586) proviennent de Florence. Ils furent imités par le graveur A.-P. Pihan qui, en 1863, réduisit le nombre des ligatures à 300. Les poinçons de Mourant ou Froyer, de 1875, s'inspirent aussi des Avicenne. Ceux d'Euclide (c. 22) proviennent de l'Imprimerie des Médicis de Rome (283 poinçons d'acier). Des adaptations pour l'afghan, le berbère translittéré, les transcriptions de l'hindoustani, le malais, le persan, le turc d'avant Ataturk, ont donné lieu à gravure de lettres spéciales. Les arabes dit de la Collection ou de l'Institut (de France) proviennent aussi de la Propagande mais ont été retouchés par Delafon en 1832. La gravure de celles dites des Quatre Évangiles (356 poinçons d'acier, c. 30), viennet de Rome. Pour les moyens (c. 29, 487 poinçons) et le gros arabe (64, 254 poinçons), gravés aux frais de Savary de Brèves, furent rapatriés de Rome avec l'imprimeur Étienne Paulin. On les retrouva en Égypte, utilisés par l'impériale imprimerie de l'Armée d'Orient.

Les matrices Monotype ont considérablement réduit l'emploi de ces sortes, à l'Imprimerie nationale, à partir de la fin des années 1950. Voir aussi turc(s) et vietnamien.

araméen(s)

Les cinq corps gravés par Aubert (en 1883-1885) l'ont été d'après les dessins d'A. Tattegrain. Ils se répartissent entre araméen ancien (ou occidental, lapidaire), de transition (époque perse), et ceux dits des Papyrus (Blacas, Vatican). Ces derniers, plus gras et plus cursifs, sont sans doute plus proches de l'araméen écrit sur tablettes ou sur cuir. Voir aussi, plus loin, l’estrangélo, et l’écriture kharostrî.

arménien(s)

Inspirés du grec (24 caractères sur 36 pour ceux des origines, 38 caractères au total à partir du XIIe siècle), on les classe en onciales anciennes (capitales erkathagir et bas de casse bolorgir) et cursives (notrgir, ou des notaires), plus récentes, ou aramianes (d'Aramian, soit d'Aram, fondateur du royaume de Naïri-Ourartou), contemporaines. On distingue le grabar (ou « parole écrite », arménien liturgique et littéraire ancien) de l'arménien dit de Cilicie (parlé notamment en France) ou de l'oriental (« soviétique », dit-on aussi parfois). Depuis lors, le Libano-Californien Hrant Papazian a fait sensiblement évoluer la représentation et la perception de l'écriture arménienne avec ses fontes Linotype Maral et Arasan (inspirée des Clarendon latines), tandis que ses Roupen (de Roupen Sévag, poète et résistant, † 1915) sont plus proches des cursives. Si la première Bible en arménien fut imprimée à Amsterdam (1662, sous la direction du père Voskan), l’écriture arménienne fut surtout révélée au public lettré occidental par la Bible polyglotte de Le Jay (poinçons de 1632 dus à Jacques de Sanlecque, cédés ensuite à l’Impr. nat.). Voir aussi, plus bas, les géorgiennes.

birman, mon, bougui

Birman et mon (ou mon-khmer) s'apparentent par l'aspect arrondi de leurs caractères. Le birman sert aussi à transcrire la langue pâli du Siam, Laos et Cambodge. Il s'écrit de gauche à droite comme le mon, qui n'est presque plus usité (c'est l'écriture mère de la birmane). 204 poinçons proviennent de la Propagande, 132 autres ont été grévés en 1833 par Delafond.

Le corps 16 bougui (30 poinçons d'acier dus à Legrand en 1841) n'a que peu à voir, graphiquement, linguistiquement, avec les fontes birmanes ou mon. Le voisinage est ici alphabétique et géographique puisque la langue des Bouguis est parlée sur l'île Célèbes tandis que les Makassars parlent une autre langue en utilisant aussi l'écriture bougui pour la transcrire.

brâhmî

Mère des écritures du sous-continent indien, la brâhmî de l'Impr. nat. s'inspire de celle utilisée pour les édits de Girnar qui ont transmis les décisions du roi « aimé des dieux » Piyadasi. 317 poinçons en c. 14 furent gravés par Delafon en 1843. C'est l'une des écritures permettant la transcription du sanskrit. Elle a inspiré de très nombreuses autres écritures.

bulgare

Les fontes numériques bulgares de l'Institut d'études slaves de Paris ont conservé des voyelles du slavon disparues en 1945, ainsi le yaté. Le grand yousse, disparu du russe, est conservé en bulgare moderne. L'Impr. nat. dispose de matrices Monotype. Voir aussi les cyrilliques.

« came », canara (et télougou)

Le Dictionnaire cam-français (Impr. nat., 1906, pour Leroux, Paris), d'Étienne Aymonier et d'Antoine Cabaton, a utilisé les76 poinçons d'Hénaffe (gravés en 1901). La lange c[h]am (ou ãam) a été définie apparentée au groupe mon-khmer ou à celui des langues malayo-olynésiennes ou à celles dites d'Austronésie. L'alphabet s'apparente, comme celui du khmer, à celui employé au Deccan (Hindoustan). Les poinçons d'Hénaffe s'inspirent de la variante rencontrée en Annam.

L'écriture canara (ou kannada ou kannara), utilisée dans la partie ouest du Deccan (Karnãtaka) pour transcrire la langue dominante de ses habitants a pour pendant, en partie occidentale (Andra Pradesh), l'écriture télinga (ou télougou·e). Ces écritures, dérivées de celle dite Grantha (50 caractères, 52 pour l'écriture télinga, dont le ductus est particulier puisque certaines lettres se tracent de droite à gauche). Des poinçons (264 en acier, c. 17) et des matrices ((256, c. 13) permettent la composition de ces deux écritures très proches.

chinois

Le Cabinet des poinçons recèle des dizaines de milliers de caractères en bois (86 000 en c. 40, datant des années 1723-1730, d'autres des années 1831-1833, puis des corps 18 et 24, gravés de 1817 à 1822 et de 1830 à 1834). D'autres bois furent ensuite (1836-1838) gravés en Chine sous l'égide des Missions étrangères (42 718 idéogrammes en c. 16). Certains idéogrammes ont été reprise en métal (c. 10, 14 et 16). Des matrices (7 712) complètent les possibilités de fondre des caractères.

copte(s) et hiéroglyphes égyptiens

Utilisée surtout en Égypte, issue de l'écriture grecque, la copte s'en distingue par des variantes et sept signes démotiques (hiéroglyphiques) transcrivant des consonnes. Des abréviations sont aussi formées par l'adjonction d'un trait suscrit.

Le corps 13 du copte dit memphitique (59 poinçons), de Memphis (Basse Égypte),  provient de la Propagande, son corps 9 (119 poinçons) dit ancien fut gravé par Hénaffe qui procéda à des gravures sensiblement différents pour les quatre corps du memphitique dit copte minuscule (c. 9,10, 12 et 13, au total 304 poinçons). Le copte des stèles (à partir de 300 environ) et celui des manuscrits (vers 1200) diffèrent assez sensiblement.

Aubert, s'inspirant de manuscripts du musée égyptien de Turin, grava quatre corps de copte thébain (de Louqsor et Karnak, Haute Égypte).

François Champollion (junior) a dû au copte démotique de pouvoir déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens, qui sont de deux catégories, les monumentaux et les cursifs (utilisés sur papyrus ou peaux et étoffes). Les hiéroglyphes égyptiens de corps 18 ont été gravés par Delafond et Ramé fils (3 325 poinçons). Un corps 12 fut obtenu par homéographie et procédé électroplastique. Il est possible qu’Émile Chassinat, compositeur à l’Imprimerie nationale, qui allait devenir en 1898 le directeur de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire, et le fondateur de son imprimerie, ait été conduit à devenir l’élève de l’égyptologue Gaston Maspéro au contact de ces corps 18 qui ont demandé dix ans de labeur (1842 à 1852). L’imprimerie de l’I.F.A.O. dispose de plus de 3 000 matrices.

cypriote

Avant l’invasion grecque, les C[h]ypriotes rédigeaient, depuis plus d’un millénaire avant l’ère chrétienne, dans une écriture syllabique. L’écriture dite cyprio-minoéenne n’a pas non plus que la précédente (et ses possibles variantes) été déchiffrée. Les écritures suivantes s’inspirent de variétés du grec. On a retrouvé à Kouklia des inscriptions gravées sur bronze, à Akanthou d’autres inscriptions sur une tablette d’argile, mais c’est la tablette de bronze d’Édalion (ou Dali), ramenée en France par le duc de Luynes, qui a donné le modèle pour la gravure de deux corps, de 10 et 12 points. Seul le corps 10, dû au graveur Lek est conservé au Cabinet des poinçons (la Société asiatique de Paris, dont la bibliothèque est située au Collège de France, détient le corps 12 depuis 1876).

cyrilliques (russe, serbe…)

Apôtres évangélisateurs des peuples slaves, Méthode et Constantin (alias, plus tard, Cyrille), Grecs de la Salonique issus d’une mère slave, allaient créer un alphabet dit slave en Grande Moravie. Ce serait Cyrille qui aurait le plus œuvré à l’élaboration de l’alphabet glagolitique (ou glagolitsa, ainsi nommé en tant que dérivé des vocables mot, parole ou verbe…) et l’un de ses disciples, Clément d’Ohrid, convié par le tsar d’obédience byzantine Boris Ier (qui adopte le catholicisme romain en 866) en Bulgarie, aurait adapté cet alphabet aux parlers bulgares, le dénommant cyrillique (kirilitsa). Une autre hypothèse voudrait que Cyrille ait d’abord adapté l’alphabet grec pour les besoins de la transcription des parlers bulgares des populations des rives de la Brégalnitsa (région de Stip, en Macédoine anciennement Yougoslave), à partir de 855. Les Bulgares, qui s’étaient montrés rétifs à l’emploi des alphabets goth ou ouigour, allaient adopter d’abord ce cyrillique qui aurait ensuite été adapté par Cyrille, après 860, et avec ou sans la collaboration de Clément d’Ohrid, afin de mieux correspondre aux besoins des autres peuples de l’empire de Boris Ier. Ce qui aurait favorisé l’expansion des alphabets cyrilliques (ou slavons) serait – aussi – leur caractère sacré, christianisé, symbolique. Ils présentent notamment deux particularités. Les proportions des lettres s’approchent de celles définies par le nombre d’or ; leur conception, reprenant des symboles chrétiens dont la croix et le triangle (de la Sainte Trinité), serait plus chrétienne que romaine ou byzantine (soit, ici, plus papiste que le pape). Or c’est un enjeu de pouvoir. L’opinion de l’époque veut que les saintes écritures ne puissent être transcrites en d’autres écritures que l’hébraïque, la grecque et la latine. Dotés de moyens considérables par le tsar qui, comme d’autres souverains (ainsi des mongols, voir l’écriture phags-pa), veulent imposer leur pouvoir à des peuples hétérogènes en les dotant d’une écriture (ou d’un style d’écriture) commune, les frères purent bénéficier de nombreuses vocations monastiques (estimées à 10 000 recrues), le gîte et le couvert étant assurés par le pouvoir séculier. Ce qui créa un rapport de forces, mais il restait à convaincre Rome. Les frères y allèrent donc plaider leur cause tandis que cinq de leurs disciples, Anguélarii, Clément, Gorazd, Naoum, et Sava, allaient, depuis l’actuelle Bulgarie, coordonner l’expansion des alphabets cyrilliques. Les successeurs de Boris, les tsars Siméon et Peter, durent résister aux pressions de rétablissement du grec en tant que langue liturgique.

Relevons au passage que l’abécédaire slave est un azbouka (de az et bouki, les deux premières lettres, voyelle et consonne, du vieux slave, et d’une comptine pédagogique déclinant chaque lettre dans l’ordre « azboukavique »). Le glagolitique sera utilisé jusqu’au XIXe siècle dans les monastères, notamment en Croatie. Mais les Slaves occidentaux (les Polonais, Slovaques et Tchèques) ou méridionaux (Croates et Slovènes) fidèles au catholicisme apostolique romain allaient revenir à l’alphabet latin en l’adaptant à leurs besoins particuliers (ainsi, en Croatie, les ‰ et autres lettres à caron – évoquant un accent circonflexe retourné –, ou le d barré). La langue, plus que l’écriture, crée-t-elle, comme le soutenait le philosophe allemande Fichte, la nation ? C’est ce qu’estimèrent sans doute les philologues Vuk Stefanoviã KaradÏiã (ou Vouk Stefanovitch Karadjitch, en serbe transcrit) ou Bartholomeus J. Kopitar, Franz Miklosich ou Pavel Safaryk. V. S. KaradÏiã, un Croate, créera une adaptation du cyrillique pour le serbe qui deviendra officielle en 1860. L’Imprimerie nationale, pour composer le serbe, utilisait des matrices Monotype pour le russe ayant été dotées des caractères additionnels. Aubert, qui avait doté l’établissement de poinçons pour le cyrillique en 1863, ajouta les caractères nouveaux en 1888.

Le Cabinet des poinçons conserve deux jeux de caractères dits glagolitiques illyriens (soit de Dalmatie et Slovénie, et du nom de la province romaine ou napoléonienne), l’un de 30 poinçons, l’autre de 625 incluant 80 poinçons pour des capitales pouvant être employées en tant qu’initiales (de plus fort corps).

Les matrices des Monotype Supra ont servi à composer le russe « soviétique » et les textes ukrainiens ou d’autres contrées utilisant des langues et caractères particuliers (ainsi des deux « gué » de l’ukrainien, dont l’un est parfois translittéré en h de l’alphabet latin occidental), mais il était aussi parfois fait appel aux corps 8, 11 et 13 points traditionnels (gravés par Bertrand Lœuillet en 1847) en composition froide. Pour celui en usage à partir de 1708 et de la réforme du tsar Pierre le Grand, incluant encore des caractères issus des alphabets glagolitiques et cyrilliques, il était fait appel à l’« ancienne gravure ». Les jeux sont ceux, en corps 28 et 36, gravés par Jacquemin en 1816, en corps 8, 11 et 13 de Lœuillet, et de leurs pendants italiques gravé par Béyaert en 1894.

estrangelo (syriaque) et mandéen, nabatéen, palmyrénien

Variante de l’araméen (avec l’écriture nestorienne, du VIIe s., et la jacobite, du VIIIe), cette écriture est l’une des formes anciennes de l’écriture syriaque. La Bible dite Peschitta, due à l’école d’Edesse (Urfa), a été rédigée en l’employant. L’estrang[h]élo cohabite avec l’écriture chaldéenne (ou akkadienne, ou swayada, orientale, nestorienne) et la serto (syriaque occidentale, jacobite, qui influencera l’écriture arabe). Elle est des variantes, dont la melchite. Ces écritures se caractérisent par une large variétés de ligatures et la présence de points vocaliques ou marqueurs du pluriel et de la segmentation de la phrase. L’écriture dite palmyrénienne avait été étudiée par des savants anglais, puis par les abbés Renaudot et Barthélémy, est apparentée au syriaque ancien (voir plus loin). L’écriture nestorienne inspirera la ouigour qui, à son tour, sera imitée pour transcrire la langue mongole (voir écriture mandjoue).

Trois corps d’estrangélo (c. 10, 12 et 16, soit 332 poinçons au total) et 61 bois gravés à Paris sont conservés au Cabinet des poinçons qui s’est aussi enrichi de 77 poinçons provenant de la Propagande.

Les poinçons des caractères dits syriaques sont au nombre de 663 : corps 20 et 56 provenant de la Propagande, corps 12 et 16 obtenus par homothétie du 20, corps 24 de 1625 complété en 1630. La ponctuation (suscrite, souscrite) est beaucoup plus importante que l’estrangélo. Les points délimiteurs de phrases, quatre, disposés en losange, caractérisent ces écritures.

L’état de Palmyre (Palmyrène), de langue araméenne, s’était doté d’une écriture distincte. Palmyre, envahie et saccagée par Aurèle (273), n’a plus produit dès lors de manuscrits (aucun n’a été retrouvé depuis les origines, hormis des inscriptions peintes) ou d’inscriptions lapidaires ou autres nous étant parvenus. La graphie varie pour quelques lettres selon les époques. Deux formes coexistaient, la cursive (oblique) et la monumentale (lapidaire surtout). La monumentale comporte aussi des ligatures et un point diacritique pour différencier l’une des trois lettres évoquant le y d’une autre à la distribution parfois voisine.

Les palmyréniens sont représentés par trois corps (11, de Jacquemin, en 1821, 14 et 20, de Hénaffe, en 1899). Bodoni, en 1798, s’était vu aussi demandé de tels caractères par la France.

De la nabatéenne, on dispose de témoignages épigraphiques monumentaux et de quelques textes à l’encre. L’écriture de Pétra, en Nabatène, se retrouve, avec quelques faibles différences, gravée sur des rochers du Sinaï ou du Hawrân (Syrie méridionale). Des inscriptions similaires ont été retrouvées à l’est de la mer Rouge et en Jordanie, dans le Hedjaz, à Hegra (Medaïn Saleh), mais aussi à Pétra et en Italie. Cette écriture compte 22 consonnes dont quatre sont employées aussi en tant que voyelles longues. Le VIIIe siècle verra l’apparition de signes diacritiques vocaliques. L’écriture nabatéenne tardive évoque l’écriture arabe en raison des graphies particulières des caractères de fin de mots et des règles de liaison entre les caractères.

Le corps nabatéen 20 est dû à Aubert et Tattegrain (1887), le 14 est dû à Béyaert en 1895. Au total, le Cabinet préserve 249 poinçons.

L’écriture mandéenne est proche de l’arabe en ce sens que ses liaisons sur la ligne de base, déjà présentes dans l’écriture nabatéenne, sont très fréquentes, et qu’une lettre arabe apparaît vers 1500-1600 de l’ère chrétienne. Mais elle transcrit bien une langue araméenne, proche du syriaque et de celle, talmudique, de Babylone. La Characène, ou Mésène, située au confluent du Tigre et du Choaspe, est connue des numismates pour ses monnaies à légendes araméennes, et pour l’évocation des Sabiens (ou Çabiens, ou Sabéens, à ne pas confondre avec les Sabéens du Yémen) par le Coran, appelés encore Mandéens, Mandéites, et Chrétiens de saint Jean (et localement, par les Sabiens de Bassorah, Nazaréens, soit chrétiens). L’écriture est monocamérale, avec, selon les époques des signes plus ronds ou plus carrés. On la trouve sur des coupes liturgiques, sur tablette de plomb, et sur divers écrits dont le Livre de Jean (Sidrâ d’Yahyâ) ou traités des rois (d'râschê d'malkê ; à noter que ce d’ ou de se note par un signe particulier marquant le partitif), et le Ginzâ (Trésor) ou Sidrâ Rabbâ (Grand Livre), dénommé aussi Livre d'Adam.

Gravé par Froyer, le corps 10 mandéen de 1867 a été le premier alphabet métallique du genre.

éthiopien

Elle s’écrit de gauche à droite et transcrit les langues guèze (ou ge’ez, langue écrite à partir du deuxième siècle av. J.-C., restée d’usage liturgique) et amharique (présente dans des inscription datant de 400), ainsi que d’autres langues pratiquées comme le tigré et l’oromo. Les marqueurs des limites de mots sont des espaces suivies de deux points superposés. La principale ponctuation de la phrase est une pause formée de quatre points disposés en carré. Selon les systèmes, les 26 caractères de base de permettent de générer, par combinaison jusqu’à 182 signes, mais l’Unicode permet de couvrir 344 syllabes possibles (43 consonnes combinées avec 8 voyelles). L’Impr. nat. disposait d’un corps 11 (279 matrices de 1789, obtenu de la Propagande) et, depuis 1851, des 296 poinçons du corps 14 gravé par Legrand. Des corps 8, 10, 12 et 24 se sont ajoutés à partir de 1862.

étrusque (et italiques)

Si l’étrusque est la plus connue des écritures italiques (elle ne comprend aucun caractère incliné à la manière des italiques, homonymes, des écritures latines), ce n’est pas la seule. Falisque, ombrien, osque, et certaines écritures picéniennes sont dérivés de l’étrusque qui dérive de la grecque. Mais on distingue deux écritures étrusques, l’archaïque, et le néo-étrusque qui lui succède en supprimant trois caractères (huit autres sont modifiés). Il existait aussi des variantes régionales. C’est l’une de ces variantes, soit celle de Caere (Certeveti de nos jours, ou Caere Vetus, Caere étant aussi dénommée Chaire, Cheri, Cisra ou Ceisra), cité des Cérites, soit celle de Véies, cité des Véites, proche de Caere, influencées par le grec comme les autres étrusques, qui est à l’origine de l’écriture latine romaine. Les inscriptions étrusques se lisent, selon les cas, de droite à gauche ou l’inverse, le boustrophédon (en les deux sens) se rencontrant parfois. L’Impr. nat. détient deux corps étrusques (c. 6, 34 poinçons de Léger-Didot, don du comte de Clarac en 1844) et un 11 de 1771 provenant de la Propagande.

géorgien(s)

L’écriture géorgienne ou alphabet an-ban (a-b) est assez proche de l’arménienne pour qu’on leur attribue la même origine, soit l’alphabet de saint Mesrob Machtots. Les deux écritures paraissent avoir puisé dans la grecque et la perse. Toutefois, des historiens Géorgiens en ont attribué l’origine à leur premier roi, Pharnavaz, qui l’aurait fixée en s’inspirant de la phénicienne. L’écriture manuscrite peut révéler des liaisons mais les lettres s’écrivent généralement à la manière de l’écriture dite d’architecte (lettres détachées). Deux variantes sont à distinguer, lesquelles peuvent avoir été contemporaines ou s’être succédées. C’est d’abord les caractères dits mrglovani (arrondis), ou asomtavruli (majuscules), puis les koutkhovani ou nouskhouri (lettres anguleuses) qui finiront par se fixer dans l’écriture khutzuri (ou khoutsouri) ou écriture écclésiastique (écriture « des prêtres »). La charte royale de Bagrat IV (parchemins de 1060 -1065) montre la transition vers la « main du soldat » ou écriture laïque, la mkhedruli (ou mkhédrouli). Celle-ci est monocamérale (pas de distinction de forme entre majuscules et minuscules) et elle a été employée parallèlement à l’écriture ecclésiastique avant de la supplanter. Elle est ponctuée à l’occidentale. Le Cabinet des poinçons dispose du corps ecclésiastique 13 de la Propagande (130 poinçons dont 63 à ligatures), d’initiales en corps 12 et 16 (97 poinçons). Les khutzuri sont ceux d’Étienne Paulin (gravés à Rome en 1629) sur 16 points (115 poinçons, dont 55 à ligatures), et des corps 9, 12, 14,15 et demi (204 poinçons), qui furent gravés par Delafond.

gothique(s)

Cette forme d’écriture, qui n’a pas de rapport avec celle des Goths (dite gothique ancienne ou mœso-gothique) implantés près de la mer Noire, est une forme latine prisée en Allemagne. Dite aussi « écriture brisée » (fraktur ou Bruchschrift)), l’appellation regroupe diverses variantes dont les carolines tardives, les textuaires (textus quadratus, carrées, et les prescisus vel sine pedibus, sans empattements inférieurs), jusqu’aux gothiques tardives (celles d’Albrecht Dürer, par exemple), et les modernes, employées en Allemagne jusqu’au fameux décret de Bormann (1941) sur les lettres dites Schwabacher Judenlettern (alphabets des Juifs de Schwabach). L’alphabet gothique comprend 26 lettres dont les voyelles infléchies à umlaut, des consonnes doubles et une s finale.

Les poinçons détenus par Friedrich Dresler und Karl Rost-Fingerlin, peut-être hérités de leurs prédecesseurs (les imprimeurs Schröter ou Schleußner), sont restés à Frankfort (à l’imprimerie Flinsch, successeur de Dresler et Rost-Fingerlin), mais ils avaient vendu, en 1836, les matrices de neufs corps (7, 9, 10, 11, 12, 18, 22, 28, 40).

Le Cabinet comporte aussi une série de 97 poinçons de Desriez qui ont été gravés à l’identique des caractères imprimés de la Bible de Bamberg, incunable imprimé par Albrecht Pfister vers 1461. Cette Bible des pauvres a été imprimée tant en allemand de l’époque qu’en latin, mais c’est la version en latin qui a servi de modèle pour les caractères de Desriez.

gothique ancienne

L’écriture dite gothique ancienne (mœso-gothique) est proche du grec, mais avec des formes latines ou évoquant les runes. Elle comprend notamment deux caractères pour les nombres 90 et 900. La lettre hwair (semblable à une o dont le centre serait marqué par un point), empruntée à l’alphabet grec, a une valeur phonétique différente de l’originale. Cette gothique ancienne est l’œuvre de Wulfila, prélat souverain de la Mésie inférieure, dont la ville la plus connue était Nicopol (Dnepropetrovs'k Oblast). Ce moeso-gothique transcrit la langue germanique dite ostique (orientale). Cette écriture n’est plus pratiquée (la slavonne de Cyrille et Méthode allait la supplanter et elle est le plus souvent transcrite en écritures latines). Les 26 poinçons du seul corps 13 ont été gravés par Jacquemin en 1818.

grecs (lapidaires, des manuscrits, et moderne)

En août 2004, avant même l’ouverture des Jeux Olympiques d’Athènes, les épinicies (chants de victoire de ces jeux) pourront être célébrés en grecs du roi numériques, caractères conçus par Frank Jalleau à partir des specimen, comme les éditions princeps d’Anacréon de 1554, et les poinçons soigneusement préservés par Christian Paput, du Cabinet des poinçons. La numérisation a en effet été achevée à temps pour composer, imprimer et relier un livre d’art remis aux plus prestigieux visiteurs de ces Jeux 2004. Les grecs des manuscrits, ou grecs du Roy, sont ceux des trois corps (16, de 1544, 9 de 1546, et 20, employé dès 1550) gravés par Caude Garamond à la demande du roi François. Ils s’inspirent des manuscrits du Crétois de Venise Ange Vergèce qui devint calligraphe et lecteur du roi de France et ami ou précepteur de la plupart des futurs membres de la Pléïade (du Baïf, du Bellay, de Ronsard). Cet ensemble de 1327 poinçons originaux, l’un des plus précieux de l’ensemble, se caractérise par la richesse artistique et le nombre des ligatures complexes (joignant de deux à six caractères). Un corps 6, attribué aussi à Garamond, fut légué en 1798 par la veuve Claude Hérissant, ancienne libraire-imprimeur ordinaire du roi, établie à la Croix d’Or, rue Neuve-Notre-Dame à Paris. Il existe aussi un coprs 13 de Grandjean, et un corps 14 obtenu par réduction en 1866. Les grecs obliques classiques sont de Ramé père et de son fils. Des matrices Monotype sont aussi détenues. Des grecs d’inscription (reproduisant les gravures lapidaires) couvrent, en quatorze corps, les diverses périodes depuis la Grèce attique jusqu’à la fin de la période romaine en Grèce. Les matrices Monotype permettent aussi la composition du grec moderne. La plupart des grands hellénistes français, dont Jacques Lacarrière, choisiront les éditions de l’Imprimerie nationale pour éditeur, ce choix n’étant, jusqu’aux premières années du XXIe siècle, évidemment très peu fortuit.

gujrâtî (et bengali)

Répandue dans la région de Goujarate (ou Gujarat ou Goujarat, Gujrât), cette écriture, qui transcrit l’une des dix principales langues indo-aryennes officiellement reconnues par la Constitution indienne (qui reconnaît aussi quatre langues dravidiennes), dérive de la devanagari, notamment par l’absence de liaison suscrite continue entre les signes et leur aspect plus arrondi. Le Mahatma Ghandi, originaire de l’État du Gujarat, la pratiquait. Elle est aussi pratiquée par les communautés parsies (zoroastriennes d’origine persane) ou jaïn (adeptes du jaïnisme ou jinisme). Cette écriture comprend des consonnes et des voyelles qui leur sont liées ainsi que des voyelles libres. S’ajoutent des signes réservés à l’écriture du sanskrit. Les 145 poinçons d’acier de Legrand ont été gravés en 1838 mais le Cabinet possédait déjà 188 poinçons de cuivre d’un bengali de Fouquet.

hébreu(x)

Dénommée rabbinique par l’ouvrage Le Cabinet des poinçons de l’Imprimerie nationale (1963), l’hébreu cursif de notation (commentaires et glose), qui a cohabité avec l’hébreu liturgique dit carré, cette écriture est désormais reproductible, avec les caractères que détenait l’Impr. nat., par la Société asiatique de Paris. Les matrices en cuivre des corps 8 et 11 points provenaient en fait de la fonderie Dresler de Francfort. On trouve des modèles de cette écriture dans, par exemple, les reproductions des commentaires de Rashi de Troyes dans la version d’Éliézer Toledano de l’Hamishah humshei Torah (Bible et Pentateuque) publiée à Lisbonne en 1491. Ces caractères dits rashi sont d’inspiration andalouse (ou hispano-maghrébine). En fait, les créations les plus élégantes de divers copistes réputés ont été intégrées dans cette écriture. On remarque la présence de signes évoquant l’apostrophe ou les guillemets dactylographiques fermants. Il s’agit de signes abréviatifs.

Le caractère sacré de l’écriture, don de Dieu pour les israélites, en a longtemps figé l’évolution. Toutefois, afin de limiter les interprétations hasardeuses et les commentaires les plus surprenants, la notation des voyelles finit par être introduite (par les érudits et rabbins dit massorètes de Tibériade et de Babylone, qui étudiant les textes religieux en ancien hébreu du VIIe au Xe siècle de l’ère chrétienne, créent des points-voyelles). Cette notation est absente des caractères dits rashi. Les caractères les plus connus à présent sont beaucoup plus récents car issus du Talmud de Babylone ou Vilna Shas (Talmud de Vilnius). Les polices employées par la veuve Romm de Vilnius ont en effet été l’inspiration principales de nombreuses polices numériques au siècle dernier.

L’hébreu dit carré est issu de l’écriture araméenne. Il compte 22 consonnes. C’est celui de l’exil à Babylone (587 av. J.-C.) et des premières versions des bibles manuscrites, ainsi que l’écriture du royaume de Juda. Il supplante l’hébreu de Samarie, dérivé de l’écriture cananéenne ou phénicienne. Mais ce dernier, dit hébreu ancien ou paléohébraïque (qui sert aussi à transcrire le langage moabite), perdura en tant qu’écriture liturgique. On retrouvera plus tard des textes en hébreu carré employant encore, pour les consonnes composant le nom de la déité (YHWH), cet hébreu ancien.

Quatre corps de caractères hébraïques sont disponibles à l’Imprimerie nationale, outre celui des 270 matrices du caractère de Villeneuve, réalisées en 1729 à partir de poinçons dont le dessin s’inspira de l’une des éditions de la Bible de Joseph Athias d’Amsterdam, celle d’Emmanuel ben Joseph Athias, en caractères rashi (car il s’agit d’une traduction en langue yiddish). Les premiers corps ont été gravés par Legard (c. 14, 1836) et Loeulliet (c. 17, 1858). Mais les 6 et 8 d’Aubert (1879), reproduisant le type créé par Guillaume Le Bé pour Robert Estienne, sont sans doute les plus remarqués.

hittite

Les hiéroglyphes hittites (pour les égyptiens, voir l’entrée copte) de l’Impr. nat. sont des bois en divers corps. Le Cabinet en détient 204. Il en est qui sont inspirés de caractères d’inscription, d’autres reprenant des formes employées pour des usages plus courants. Ces hiéroglyphes étaient parfois disposés selon le mode boustrophédon (bidirectionnel).

himyarite (voir sud-arabique)

ibérique

L’écriture ibérique, adoptée (de la phénicienne, pense-t-on en raison des échanges fréquents entre les territoires de Tartesse et la Phénicie, de l’étrusque en raison de la présence de caractères syllabiques, estime-t-on au contraire) vers 700 av. J.-C. est contemporaine de l’écriture latine. Il est considéré que les diverses langues de la péninsule étaient transcrites en diverses variantes du système de Tartesse. Les deux principales variétés, l’une nordique (répandue dans la future sphère occitane, en Catalogne et Castille), l’autre méridionale (Andalousie, Murcie et partie du Portugal), ne sont pas radicalement différentes. Il est supputé aussi que le grec ait influencé très fortement ces graphies. Mais, selon, par exemple, Mebarek Slaouti Taklit, professeure de linguistique à Alger, le libyque-berbère (voir, plus bas libyque et Tifinag) aurait pu influencer l’écriture phénicienne et la grecque (consulter son livre, L’alphabet latin serait-il d’origine berbère ?, L’Harmattan, Paris, 2004).

Les 35 poinçons de l’ibérique 9 points du Cabinet sont dus à Fity.

javanais

Écriture dérivée de la brahmi, la javanaise ou tjarakan (ou carakan ou encore, en néerlandais, hanacaraka ou huruf jawa), comme l’honotjoroko, variante dérivée du sanskrit, n’est que l’une des formes ayant été pratiques sur l’île de Java. En effet, l’écriture pallava, provenant de la devenagari, donna naissance à l’écriture kawi (vieux javanais). Mais l’alphabet pégon ou gundil (goundil), dérivés de la graphie de l’arabe, aaussi été pratiqué au XVe siècle. C’est devenu une écriture de lettrés et d’artistes car l’alphabet latin, introduit par les Néerlandais, a supplanté l’écriture javanaise. Taco Roorda, pour la fonderie Johannes Enschédé en Zonen, de Harlem, avait fait réaliser un alphabet javanais cursif et l’Impr. nat. en avait acquis 170 matrices. Delafond et Marcellin Legrand allaient, en 1845, créer un corps 14 de 222 poinçons d’acier.

kharostri

Ou écriture araméo-indienne (autre graphie, kharosthi, anciennement écriture indo-bactrienne), la kharostri a été étudiée notamment par James Prinsep. C’est une écriture syllabique mais qui comporte cinq voyelles libres, la graphie combinant d’autres éléments ajoutés (traits, barres, traverses…) pour rendre les sons vocaliques autres que le a combinés avec les consonnes. Il n’y a pas de marque différenciant la prononciation longue ou courte des sons vocaliques. La distribution de cette écriture, pratiquée tout d’abord dans la région de Gandhära (Afghanistan oriental, Pakistan septentrional), s’est répandue le long de la route de la Soie avant de s’éteindre. La kharostri s’écrit de gauche à droite et emploie neuf signes de ponctuation. Les poinçons de 1885, gravés par Aubert, sont au nombre de 165. Ils reprennent une forme ancienne, remontant aux origines (IIIe siècle av. J.-C.)

khmer, laotien, siamois

Les 33 consonnes khmères se divisent en sons légers (aghosa) et lourds (ghosa) et les 39 voyelles (sraks), dont 13 indépendantes (pleines) et 24 liées aux consonnes se prononçant différemment selon leur combinaison avec les consonnes légères ou lourdes, et deux invariables. Ces paires consonnes et voyelles peuvent produire divers mots représentés par un seul signe. On trouvera aussi des consonnes en position de caractères souscrits et des caractères ronds. Les caractères ronds sont utilisés pour les textes liturgiques et le titrage des textes de presse. Enfin, un signe suscrit particulier (dénommé bântâk) indique la brièveté de prononciation d’une syllabe. Il existe neuf signes diacritiques. La graphie évoque des caractères rencontrés dans les écritures de l’Inde méridionale. On distingue deux périodes pour le vieux-khmer. L’époque pré-angkorienne (l’écriture est très proche des formes pallava indiennes) et celle de l’empire angkorien (IXe-XIVe siècles). Le khmer moyen n’est pas plus compris que le vieux khmer par la grande majorité des Cambodgiens contemporains. Mais le corps 20 points, de type jrien (XIVe siècle, cursif et profane), gravé par Lek en 1906, reste accessible. Le 18 points d’Aubert, gravé en 1877 est mul (ou mhul, liturgique), est plus fréquent pour les textes gravés que sa variante kham. L’écriture réserve aux textes religieux est aussi appelée thoam.

Si la langue cambodgienne est atonale, le laotien comporte des accents transcrits par l’écriture laotienne. Les consonnes sont classées basses, normales, moyennes et hautes, tandis que les voyelles sont très courtes, courtes ou prolongées. Au total (33 consonnes, 28 voyelles, 15 symboles de diphtongues quatre signes diacritiques), six intonations principales sont graphiquement distinguées. Ces intonations sont produites différemment selon les régions du Laos. La forme ancienne tham (ou Aksone Khom) est liturgique. L’écriture manuscrite, ménageant des pleins et des déliés, harmonise verticalement en suivant la ligne de tête tandis que la pratique typographique laotienne cale les caractères, dénués de pleins et déliés, selon leur ligne de base. L’écriture tham est lapidaire mais aussi gravée au poinçon sur des feuilles de latanier (bay lan) qui consignent des textes religieux, médicaux (tamla ya), ou des horoscopes (horasat). Il existe aussi des variantes (nang su khom). L’écriture lao transcrit aussi la langue Hmong. Des premiers poinçons, en corps 20 furent gravés par Lek en 1925 et complétés en 1937 par Gauthier. Un corps 40, de Malin, gravé en 1947 (année d’adoption de la nouvelle Consitution proclamant le lao langue officielle), n’a pas donné lieu à la confection de matrices.

Présente sur toutes les lettres sauf celle transcrivant le k et la voyelle longue a et deux signes tonaux, une petite boucle distingue rapidement l’écriture siamoise ou thaï de ses voisines khmère ou laotionne. Le thaïlandais méridional (le Zhuang septentrional, transcrit autrefois en idéogrammes chinois, a recours à l’écriture latine) est une langue monosyllabique tonale (à cinq tons ou tonèmes) qui s’écrit avec 6 voyelles courtes, 5 voyelles longues et 2 signes de diphtongues particuliers, 44 signes pour les consonnes. On trouve des signes de ponctuations traditionnels (début et fin de paragraphe ou de texte, de fin d’un recueil) et ceux des écritures latines sont parfois employés. Les 149 poinçons de 1853 sont de Lœulliet, le 12 est de 1903 et dû à Hénaffe.

latins épigraphiques

L’écriture contemporaine de type latin (d’Europe occidentale, centrale, mais aussi d’Afrique, d’Asie, d’Océanie, puisque ses variantes transcrivent aussi bien les langues maori que vietnamienne) était aussi inconnue des peuples de la Rome impériale que de Romulus et Remus. Plus tard, la langue latine sera transcrite selon des formes locales (dont la gothique, reproductible avec les caractères issus de 97 poinçons et matrices détenus par l’Imprimerie impériale en 1862) qui reproduiront ou non les majuscules d’inscription de l’écriture dite latin épigraphique. S’il y eut bien une cursive romaine attestée dès le premier siècle av. J.-C., celle-ci s’inspire très fortement des capitales lapidaires. La première gravure de l’Impr. nat., le corps 14 de 1853 (57 poinçons), effectuée par Ramé père, comporte des symboles chrétiens. En 1854, Bertrand Lœuillet poursuivit la gravure de corps 8 à 12 et d’un corps 16. On s’attache notamment à reproduire les inscriptions gallo-romaines mais aussi celles trouvées au Maghreb et notamment en Algérie. Sur les inscriptions d’Algérie, on remarque des ligatures (AV notamment, mais surtout les TI, évoquant une croix chrétienne, les NI, MI, RI, etc.) et la fréquence des abréviations. Ces alphabets latins visent à reproduirent assez fidèlement les originaux et leurs variantes graphiques (par exemple, des S resserrés, des F et des L à barres obliques).

libyque, tifinag

Des îles Canaries à l’oasis égyptienne de Siwa (ou est parlé le berbère tasiwit, de Siwa), et, peut être, autrefois, du Saumurois (Anjou, du fait des invasions « maures » et des incursions au nord) au sud d’Agadès (Niger), diverses variantes des langues berbères ou kabyles sont parlées. Et non écrites. D’une part, les plus célèbres berbères du monde méditerranéen, Ptolémée, saint Augustin, saint Cyprien, Tertullien, Apulée, Septime Sévère, et tant de savants arabisants, ont surtout, si ce n’est exclusivement, privilégié d’autres langues vernaculaires de leur temps, et leurs graphies. Il est d’ailleurs question, pour certains partisans de la diffusion des langues berbères, de privilégier encore le type d’écriture latin occidental pour les translittérer. Toutefois, le royaume du Maroc, qui a confié la revitalisation de la langue et de ses variantes (zenatiya, ou tarifit, ou rifain ; braber ou tamazight de l’Atlas ; tachelhit des Chleuhs…) à l’Institut royal de la culture amazighe du Maroc. Une écriture néo-tifinagh[e], notant les voyelles, alors que l’écriture traditionnelle est consonantique, a été adoptée. L’ISO a décidé de prendre en compte « 54 caractères plus un caractère diacritique et 25 emplacements vides pour d'éventuels réarrangements futurs, » ce qui permettra donc de coder de nouveaux caractères si le besoin s’en faisait sentir. La relation à l’écriture est redevenue forte, y compris en Kabylie et dans diverses régions algériennes ou tunisiennes (ou sont par exemple parlé le tachawit, ou chaoui ou chaouia des Aurès, les langues touareg ou tamasheq des régions désertiques du grand sud). À noter que le caractère prononcé z (caractère « aza »), qui évoque fortement un je cyrillique couché ou plutôt un humain debout, a été pris pour motif central d’un drapeau censé représenter l’ensemble des berbérophones ou la « Berbérie ». Amagik (tamachek) ou amazigh (tamazight) signifiant « être humain libre », ce caractère a une valeur emblématique. Selon la linguiste algérienne M. S. Taklit (voir plus haut, ibérique), l’écriture libyque aurait pu être l’inspiration de la plupart des écritures de la Méditerranée d’avant la domination romaine. Évidemment, l’écriture libyque pouvant se targuer d’une certaine antériorité (trois millénaires et quelques siècles), elle serait contemporaine de l’ougaritique (voir ninivite, plus bas), et donc tout aussi originale et susceptible d’en influencer de postérieures. Pour reproduire l’écriture libyque, dont les signes peuvent varier de sens selon les régions, qui se lit depuis la gauche, soit horizontalement de haut en bas, soit verticalement de bas en haut, l’Imprimerie nationale avait, en 1873, confié à Aubert la gravure de poinçons correspondant aux signes recensés par Eugène Halévy.

La, ou plutôt les écritures du tifinagh moderne, se sont caractérisées par des variations assez peu marquées, hormis la substitution de points aux traits de l’écriture libyque. Celui retenu par l’Imprimerie impériale en 1860 pour un Essai de grammaire de la langue tamachek (d’Adolphe Hanoteau), qui a fait longtemps autorité et notamment sur le point voulant que la langue tifinaà (un féminin pluriel) soit celles des phéniciennes ou puniques, avait été gravé par Loeulliet en 1858. Actuellement, depuis 1967, il a été formé une écriture néo-tifinaghe, qui s’écrit à présent le plus souvent de gauche à droite, et qui emprunte des signes à l’écriture libyque, mais aussi ibérique et même à celle de l’Arabie heureuse (l’écriture dite sub-arabique du Yémen de la reine de Saba). Cette néo-tifinaghe de l’Académie berbère de Paris (Agraw Imazighen) a pratiquement été reprise par l’IRCAM marocain. Les locuteurs de la langue, et de ses variantes, qui furent transcrites en arabe, judéo-berbère (en caractères hébraïques), et en écriture latine, semblent devoir en passe d’adopter cette écriture. Le graphiste français Pierre Di Sciullio, qui avait créé en 1995 une fonte numérique dénommée l’Aligourane l’a, en 2003, étendue pour donner naissance à la fonte Amanar.

Si d’autres langues d’Afrique sont désormais écrites (l’écriture N’ko, créée vers 1945, en est un exemple de réussite), celle des Berbères semble en position de redevenir pratiquée à l’écrit avec une forme originale s’appuyant sur ses traditions graphiques. Il est permis de penser que l’Imprimerie nationale et ses graveurs y ont contribué.

mandjou et ouigour

L’écriture mandjoue a été imposée par Gengis Khan (Temüjin) qui étudia les écritures des populations sédentaires soumises par les Mongols. L’ancienne écriture mongole s’inspire de celle des Ouigours (de la Tharse), soit une écriture dérivée de la variante nestorienne de l’araméen, parfois dénommée vieux-turc (ou vieux-turk). La dénomination de l’Imprimerie nationale est celle de syro-ouïgour et c’est sous ce nom qu’un caractère de Fouquet fut gravé en 1806. L’actuelle langue mongole est soit transcrite en écriture chinoise, soit en écriture cyrillique, soit dans une écriture mongole dérivée de la mandjoue (combinaison, en système syllabique, de 17 caractères de consonnes, de sept de voyelles et cinq de diphtongues ; la composition se fait en colonnes verticales lues de gauche à droite). Relevons que sur le territoire de la Mongolie, un alphabet proche de celui des runes, l’orkhon, a aussi été retrouvé sur des inscriptions découvertes près du site de l’ancienne Karakorum. Voir aussi phags-pa.

Outre les poinçons de Fouquet, le Cabinet des poinçons dispose des corps 9 (1806) et 15 (1787) de Firmin-Didot, et de caractères gravés en 1807 par Renard. De plus, la Société asiatique de Paris avait acquis un corps 19, gravé en 1822 à Saint-Petersbourg, et elle le céda à l’Impr. nat. Cela représente un total de 355 poinçons auxquels il faut ajouter 14 bois gravés.

maya

Les idéogrammes maya du Cabinet des poinçons proviennent de la gravure de divers corps, dont notamment le 14, en reprenant les motifs des gravures sur bois de Fity (1868). Environ 800 caractères maya ont été dénombrés.

nâgâri

Issue de la brâhmi, cette variante est la plus rapidement identifiable par le profane en tant qu’écriture de l’Inde puisqu’elle transcrit la langue hindi. La plupart des caractères semblent flanqués sur la droite d’une potence rythmant la lecture et assurant un continuum marquant leur ligne de tête, comme si les mots lui étaient suspendus. Les caractères se combinent (250 combinaisons sont très usitées, il en est de moins fréquentes). La ponctuation principale se compose de deux signes, une barre verticale ayant la fonction de pause de séparation des phrases et deux points superposés ayant la fonction de la virgule occidentale. Il existait des variantes régionales avant l’indépendance de l’Inde, lesquelles ont tendu depuis à s’estomper.

Hormis un corps 16 (540 poinçons d’acier gravé par Delafond) de 1825, les caractères nâgâri de l’Imprimerie nationale proviennent de la Société asiatique de Paris qui en avait commandé plusieurs gravures. La première est de Vibert (c. 20, 1821, acquis en 1833). Le corps 13 datant de 1833 fut complété par Delafond en 1840. Enfin, les corps 11 et 16 furent acquis auprès de la Société par l’Imprimerie impériale en 1860.

ninivite (assyrienne) et persépolitaine

Dans les écritures cunéiformes (évoquant un coin, un cale porte, ou des clous de maréchal-ferrant) sont recensées les cunéiformes assyriennes (babylonienne, akkadienne, ou ninivite), la hittite, la hourrite, la persépolitaine et l’ugaritique (ougaratique). La ninivite serait postérieure d’un demi-millénaire à la suméro-akkadienne (apparue vers 4000 av. J.-C.). Apparue à Ourouk (ou Uruk, actuellement Warka en Irak), selon certains, où ont été retrouvées plus de mille tablettes d’argile incisées par des pointes de roseaux ou marquées par des extrémités biseautées, l’écriture pictographique sumérienne a évolué, par simplifications successives, en écriture cunéiforme. Elle est d’abord oblique puis les éléments sont disposés, toujours parallèlement, à la verticale et l’horizontale. Les fouilles de Ras Shamra (Ougarit) révéleront que l’écriture cunéiforme s’est aussi prêtée à la transcription des sons de plusieurs langues et notamment du vieux perse (écriture persépolitaine).

Cette écriture, que l’état actuel des connaissances et trouvailles désigne être l’une des toutes premières, semble avoir surtout servi à des fins utilitaires et comptables. Ce qui n’atteste pas, en tout cas pas plus que le regroupement de chasseurs nomades et d’agriculteurs épars en cités n’exclut que des raisons culturelles aient présidé à cette grégarité, que l’écriture n’ait pu d’abord servir à transmettre des idées philosophiques ou religieuses. L’écriture akkadienne dira la loi et le pouvoir, mais la ninivite, de ce que l’on en a pu trouvé, dit surtout l’avoir, la possession des biens.

Trois corps de ninivite sont disponibles dans les fonds de l’Imprimerie nationale, un 16 de Marcellin Legrand (1846), un 12 reprenant les signes du 16 (1865), et un 9 gravé par Lek en 1910.

L’écriture persépolitaine est connue par des inscriptions, dont des trilingues (vieux perse, néo-élamite en écriture susienne, assyro-babylonienne en suméro-akkadienne). Elle reprend les chevrons et les « clous » brefs ou allongés, et découpe les mots (délimités par des « clous » obliques) en syllabes (trente-six phonogrammes), ne conservant que quatre idéogrammes très stylisés. Mais certains signes prennent la valeur de simples lettres (voyelles ou consonnes).

Le corps 16 n’existe que sous forme d’une fonte (pas de poinçons ou de matrices) datant de 1809. Les corps 8 et 12 ont été gravés par Marcellin Legrand en 1838.

persan

Divers systèmes d’écriture ont prévalu sur les territoires perses avant 652 et la conquête arabe qui instaure la prédominance, puis l’usage exclusif de la langue et de l’écriture de la nouvelle classe dominante. Le langage des Perses n’est progressivement plus pratiqué que par le peuple jusqu’au Xe siècle qui en marque une renaissance érudite. Toutefois, l’écriture arabe convient à le transcrire, et seuls quatre signes sont modifiés par ajout de points pour rendre compte de la nouvelle prononciation. La forme naskhî (naskh, ou neskhi), cursive, la plus calligraphique, est privilégiée pendant près de 300 ans, puis elle cède le pas devant la forme ta‘lîq (ta-liq), qui s’inspire des variantes tawqi et riqa’, ou rekka, (la première caractérisée par ses ligatures, la seconde tendant à la simplification), avant d’évoluer en nasta‘lîq (nasta-liq), aux terminaisons effilées et aux boucles resserrées (ou bouchées). Le style « brisé » (chikesté) se caractérise par ses ligatures et l’absence de diacritiques. Il se décompose en deux branches dérivées, caractérisés selon l’écartement (proche ou plus espacé) des caractères. Cette dernière écriture sera privilégiée par Séyyèd Ali Mohammed (le Bâb), vénéré par les adeptes de la religion Baha’ie, car « aimée et préférée de Dieu entre les écritures. »

Le Cabinet des poinçons détient un corps 30 de nasta‘lîq de la fin du XVIe siècle (430 poinçons), lequel sera enrichi de nouveaux caractères gravés par Marcellin Legrand en 1855.

phags-pa

Selon la vulgate officielle de la République populaire de Chine, « les documents du monastère Sakya, créé en 1073 et situé à 450 km à l'ouest de Lhasan, établissent que Kublai Khan, empereur-fondateur de la dynastie des Yuan, avait demandé à Phags-pa, supérieur du monastère, d'être son maître spirituel et de devenir un officiel de haut rang du gouvernement central. » L’empereur mongol (Kublai, Koubilaï ou Tche Youen ou Yuan, en chinois, Setchen Khaqan en <http://www.cosmovisions.com/ChronoMongols.htm>mongol) le charge aussi de concevoir un alphabet propre à transcrire tant la langue mongole que la chinoise. L’écriture due à Phags-pa (ou Pa-sse-pa) a conservé son nom (parfois transcrit aussi Passepa). Cette écriture s’instaure vers le début de la décennie 1270 (ou en 1269, selon les sources). Elle est dérivée de la tibétaine (et donc de la brâhmî) et s’avère plus complexe et ardue à pratiquer que les systèmes antérieurs (elle comporte 41 éléments de base). Elle s’écrit en colonnes (de haut en bas) et de gauche à droite. Ce système semble n'avoir servi que dans la chancellerie centrale impériale ; on n'en trouve plus trace après le début de la décennie 1350, si ce n’est au Tibet, en tant qu’écriture de prestige ou décorative (sur des sceaux, des pages de titre, ou des monuments). Les Chinois assujettis aux Mongols en firent un plus large usage que les Mongols eux-mêmes.

Des bois gravés par Fity en 1859 ont permis de réaliser des matrices électrotypiques (galvanoplastiques).

phéniciens et punique

Les Phéniciens formaient leurs 22 signes consonantiques de droite à gauche. Leur principe est acrophonique : un son est représenté par l’épure d’une chose ou d’un être familier dont le nom débute par ce même son. Cela parait évident pour le son te de tau (la croix) représenté par une croix (comparable au signe plus de l’alphabet latin actuel). Ce système d’écriture se diffusera largement à partir de Byblos (à l’emplacement de l’actuelle ville libanaise de Djebail), puis de Sour (Tyr). Il est supposé que cet alphabet serait issu des 23 signes du système protocananéen (et protosinaïtique, puisqu’il est estimé que le protocananéen se serait diffusé depuis l’actuel Liban jusqu’au Sinaï) tout autant acrophoniques (et fondés, pense-t-on, sur les hiéroglyphes égyptiens : le aleph évoquant la stylisation du hiéroglyphe représentant un faucon ; le aleph phénicien, son glottal initial du mot désignant le boeuf). Cet alphabet phénicien, assez répandu, aurait été adopté partiellement par les Phrygiens d’Anatolie, qui influencèrent aussi, estime-t-on, la formation de l’alphabet grec. Mais la controverse n’est pas tranchée à l’heure actuelle et il plus généralement estimé que l’alphabet grec serait une adaptation directe du système phénicien. S’il est considéré qu’un alphabet doit permettre de transcrire aussi les sons vocaliques, le premier alphabet du bassin méditerranéen serait celui des Ciliciens (région de Mersin en Turquie), une adaptation du système phénicien. Toutefois, l’étymologie du mot « alphabet » dérive d’alpha et de beth, les deux premiers sons et lettres du système phénicien. Le principe acrophonique a sans doute pu se répandre, à partir de l’Égypte, ou, plus exactement, de ceux qui eurent à connaître de sa civilisation et de son écriture hiéroglyphique, à tout le bassin méditerranéen, tant vers l’ouest que vers l’est et le nord.

Les graphies phéniciennes évolueront au fil des siècles (peu depuis l’archaïque au phénicien ancien de Phénicie même, cependant) et surtout en fonction de l’expansion géographique des échanges commerciaux entre la Phénicie et les continents asiatique, européen, africain. À Carthage, une variante, l’écriture punique, qui évolue vers la néo-punique, plus épurée et cursive, se différencie aussi en fonction de sa propagation (en Tripolitaine, soit en Libye, et vers le Maghreb occidental). Les écritures latines et grecques se substitueront à cette écriture avant que l’Islam popularise les écritures arabes.

Le Cabinet des poinçons conserve six corps de phénicien et un de néo-punique. Les phéniciens (c. 13 de 1847 dû à Ramé père, c. 18 cédé en 1860 par le duc de Luynes, deux corps 16 et 20 de phénicien ancien et classique gravé par Aubert en 1879) imitent au plus proche des caractères relevés sur des inscriptions diverses. Le néo-punique a été dessiné par Tattegrain et gravé par Aubert en 1883. Des caractères phéniciens avaient aussi été commandés à Bodoni en 1798.

runique

Les runes, caractères chargés d’un sens mystique, ésotérique (du vieil islandais runar, de l’irlandais run ou du gallois rhin pour secret, du vieux saxon runa pour chuchotis ou mystère), sont l’un des éléments majeurs donnant corps à une théorie : c’est d’abord pour communiquer le sacré, ou des concepts et notions permettant de s’expliquer le monde, de se livrer à des pratiques divinatoires, et non pour des raisons mercantiles, que l’écriture aurait été élaborée. Quoi qu’il en soit, les runes enseignent que les conditions de transmission d’une écriture tiennent aussi aux moyens employés pour la réaliser, soit aux outils et matériaux mis en œuvre, lesquels conditionnent aussi son apparence (ainsi, aussi, des écritures cunéiformes impliquant de presser l’extrémité taillée d’une tige dans de la glaise fraîche). Les caractères sont en majorité formés de fûts verticaux et de traverses (obliques) et non de barres (horizontales). Cela tient peut-être à ce que cette écriture s’apprenait d’abord en gravant ou incisant du bois, dans le sens du fil principalement. Ce support périssable, notamment s’il est exposé aux intempéries, à l’enfouissement, est toutefois facilement transportable en tablettes. Et il peut être envisagé que certaines aient pu se répandre fort loin de leur lieu de production. Toujours est-il que des analogies graphiques entre caractères germaniques, scandinaves, des pays celtes, et caractères du monde méditerranéen central et oriental ; ont plaidé en faveur d’une influence des seconds pour les premiers. D’autant que les bijoux, objets métalliques ou supports en pierre (stèles funéraires) présentant des runes ont été datés de périodes postérieures à l’apparition des écritures méditerranéennes. Le système runique ancien ou futhark (ou fu©≠ark, de fehu, bétail, pour la première lettre transcrivant le son f, et des cinq suivantes, uruz, bœuf ou taureau, ) comporte 24 caractères au départ. Il tombe à 18 ou 16 caractères en Scandinavie (rendus graphiquement de manière différente pour le danois et le groupe suédo-norvégien), mais remonte à 27, par adjonctions de points, dans l’univers scandinave, et passe à 28, voire 33 caractères (système anglo-saxon ou frison) dans les îles Britanniques. Les runes seront aussi utilisées en Hongrie et en Turquie. Le caractère thurisaz ou thom (©≠) est encore utilisé pour la langue islandaise. Il est généralement estimé que l’emploi généralisé des runes coïnciderait avec le premier millénaire de l’ère chrétienne (de l’an un à l’an mil, donc), sauf en Scandinavie ou leur emploi ne se serait vraiment éteint régionalement qu’au siècle dernier. Les runes sont encore, au XXIe siècle, employées pour des pratiques religieuses (tout comme les oghams druidiques). Pour couvrir les divers emplois et variantes dans le temps et selon la répartition géographique ou spécialisée, le système Unicode reconnaît 81 caractères runiques.

Le runique corps 13 gravé par Jacquemnet en 1816 a été complété par un corps 10, gravé par Lek en 1922.

sabéenne (voir sud-arabique)

shingalais et tamoul

L’alphabet shingalais ou ceylanais pratiqué encore au Sri-Lanka est une forme particulière de l’écriture brâhmî, qui a évolué sur l’île à partir du IIIe siècle. Il s’agit d’une écriture aux caractères d’aspect plus arrondis, qui peuvent ou non être tracés avec des pleins et des déliés. La ponctuation moderne reprend les signes de l’écriture latine contemporaine. L’écriture dite tamoule, tout autant dérivée de la brâhmî, a été fixée par l’introduction de l’imprimerie à Malabar, par des pères missionnaires portugais, en 1577. Les Portugais, présents sur la côte des Malabar depuis l’abordage de Vasco de Gama en 1498, allaient s’implanter à Ceylan vers 1505. La différence entre les graphies tamoul du sous-continent indien et shingalaises peut tenir au fait que les Portugais firent adopter, en 1556, leur langue au royaume s’étendant autour de Colombo. La concurrence néerlandaise, qui repoussa les Portugais, se montra moins soucieuse d’évangélisation et les évolutions des écritures se différencièrent.

450 matrices obtenues par le procédé galvanoplastique à partir d’un corps 9 shingalais gravé à Colombo sous la direction du pasteur angican Daniel John Gogerly (†1862) et cédé au vice-consul français à Ceylan, M.P. Grimblot, en 1864, servent à obtenir des caractères pour la composition de l’écriture singhalaise. Le fonds comprend aussi 76 poinçons de Renard (gravés en 1806). De l’écriture tamoule, l’Imprimerie dispose de 1 053 poinçons d’un syllabaire malayalam réformé provenant de l’Imprimerie de la Propagande, de 145 poinçons de types anciens (gravés par Marcellin Legrand en 1832), d’un jeu de 151 poinçons gravés par Lœulliet en 1863, jeu qui sera repris en plus petit corps en 1868.

sud-arabique (himyarite)

Le mode d’écriture dit boustrophédon (en lacet, haut en bas, de droite à gauche puis de gauche à droite), utilisé pour les écritures dites sud-arabiques ou himyarites (ou sabéennes), peut impliquer la modification de la graphie de certains de leurs signes. C’est déjà une complication, l’autre étant que l’écriture sud-arabique (ou sudarabique) permet de transcrire quatre langues ou dialectes disparus de l’actuel Yémen réunifié ou de l’Oman dont le sabéen (région du ouadi Adana), le minéen (ou madhâbien, de la région du Jawf), le quatabânite et le hadramawtique, puis vers le Xe siècle, la langue du royaume himyarite, encore pratiquée dans montagnes à l’est de Sanaâ et vers Saada. Certains signes consonantiques (les initiales du chiffre ou nombre) servaient aussi à transcrire des chiffres et des nombres longs. Les 29 signes comprenaient un simple trait vertical de ponctuation intermots. Les premières inscriptions épigraphiques remontant au XIIIe siècle av. J.-C., cette écriture est donc aussi une candidate au plagiat par d’autres, plus récentes. Le syllabaire éthiopien se serait inspiré de certains signes et des inscriptions en sudarabique témoignent, en Abyssinie, de sa propagation hors de l’Arabie heureuse (ou fertile, celle de la pointe yéménite).

Marcellin Legrand grava 96 poinçons d’acier de corps 12 en 1844 permettant de reproduire l’écriture qui aurait été celle de la mythique, mais plausible, reine de Saba.

tibétain

Le tibétain est une langue apparentée à la birmane qui a peu à voir avec celles de l’Inde, mais qui a emprunté l’écriture brâhmî (le ministre Thomni Sambhota aurait été dépêché en Inde par le roi Song-tsen Gampo, devenu bouddhiste au VIIe siècle de notre ère, avec pour mission d’en ramener une grammaire et des caractères susceptibles de rendre les sons de la langue tibétaine). C’est une écriture à 30 consonnes, toutes prononcées en association avec le son a par défaut ; si l’un des quatre signes vocaliques, trois suscrits (sons i, o et é), un souscrits (son ou), est ajouté à l’un des 30 signes, le a cède au profit de la voyelle en question. Les syllabes, formées donc d’un seul signe (associé au a, bref ou long, ou expiré), de deux, voire d’un des cinq signes préfixes et d’un ou deux des dix signes de suffixes, sont délimitées par un point placé à droite du groupe. Douze signes sont réservés à rendre compte spécifiquement du sanscrit. Le tibétain s’écrit sous deux formes, la dibu can (ou dbucan ou outchen, u-chen), écriture dite « à potence » ou « capitale » ou « avec tête », et la u-mé (ou oumé, cursive, avec variantes dites sug ring et dru tsa), dite « sans tête ».

L’Imprimerie de la Propagande détenait un corps 25 de l’écriture outchen, gravé en 1738, et acquis par l’Imprimerie nationale. Marcellin Legrand a gravé d’abord un corps 18 en 1839, puis un corps 15 en 1841 (pour un total de 745 poinçons).

turc(s) et vietnamien

Les écritures turque et vietnamienne contemporaines ont cette caractéristique (partagée avec d’autres, telles celle du maori, la maltaise, etc.) d’utiliser un alphabet latin étendu (complété par des signes supplémentaires) ou enrichi de signes diacritiques. Leur seconde particularité commune est qu’elles sont, comme la croate, issues non d’une sédimentation (œuvre du temps et de divers intervenants) mais d’une réforme volontariste. Leur troisième point commun est que leurs formes modernes ont été imprimées, à l’Imprimerie nationale, en caractères Bodoni (repris et modifiés).

Le turc fut d’abord transcrit par un système runiforme dérivé d’une écriture araméenne, système dit de l’Orkhon, fleuve de Mongolie dont la vallée recela des inscriptions en ce type d’écriture. Les langues du groupe turk (ou türk, ou sous-groupe turc du groupe ouralo-altaïque), comme l’azéri, le gagaouze, le kazakh, l’ouzbek, le turkmène, le tatar, ont été transcrites ou non (certains dialectes, des variantes du groupe n’ont pas été dotés d’une écriture) en des écritures imposées par les divers colonisateurs successifs. Le turkmène, par exemple, fut transcrit en caractères manichéens, syriaques, indiens, tibétains… Mais la propagation de l’Islam et la domination arabe plaidèrent, en de nombreux pays et pour de nombreuses nations, pour l’adoption d’une écriture de type arabe. Celle-ci fut très souvent perfectionnée esthétiquement dans l’aire géographique des langues du groupe et notamment en Turquie ottomane, dont la calligraphie ornementale arabo-persane est toujours imitée de nos jours. La calligraphie courante évolua au fil du temps et se différencia selon les usages (formes qirma et siyaqa pour l’administration et le commerce, forme divanî pour les diplômes et autres inscriptions). Pour l’écriture courante, la notation des langues turque et turkmène diffère de celles d’autres langues du monde arabe par le système de transcription vocalique (introduit tardivement, en 1920, au Turkestan). Les Ottomans, comme d’autres peuples arabisés, se montrèrent rétifs à l’adoption de l’imprimerie, introduite par des juifs séfarades portugais (imprimerie hébraïque du palais du Belvédère d’Ortaköy de la duchesse Reyna de Naxos, après 1590). L’expansion ottomane, notamment en Hongrie, familiarisa avec l’imprimerie. Mais il fallut toutefois attendre 1727 et la période d’occidentalisation dite « des tulipes » pour qu’avec l’aide du fils de l’ambassadeur turc auprès de la France, Imbrahim ‹ Efendi › Müteferrika (dit aussi Ibrahim Basmadgi, de « basma », impression xylographique), un Hongrois converti, fonde une imprimerie autorisée à utiliser les caractères arabes. Cette imprimerie deviendra l’imprimerie impériale ottomane.

Le turc moderne, promulgué officiellement le 3 novembre 1928 par Müstafa Kemal ‹ Atatürk › (père des Turcs), est à la fois une langue « nouvelle » et une nouvelle écriture. « Nouvelle langue » car enrichie notamment de vocables occidentaux, dont des allemands, et nouvelle écriture par adoption du signe umlaut (tréma), d’un i dur (sans point), d’un s à cédille souscrite (s¸) et d’un g bref (g˘).

L’écriture turco-arabe est représentée par 376 poinçons en acier pour le corps 20 gravés en 1883 par Aubert. Les corps 8, 9, 10 et 12 du Bodoni ont été enrichis des caractères idoines.

L’écriture vietnamienne, sous sa forme actuelle, prend son origine au XVIIe siècle, dans les efforts des missionnaires catholiques, portugais notamment, et chrétiens, mis à élaborer un système rendant compte des tons de la langue. Le jésuite avignonnais Alexandre de Rhodes, sujet pontifical (de nationalité vaticane, dirait-on aujourd’hui), formalisa en 1651 les tentatives de Gaspar de Aramal, Antonio de Barbosa, Francisco de Pina. Cette écriture ‹ chu qu?c-ng? la tinh › valut à de Rhodes d’être expulsé vers Macao (après avoir été condamné à mort en juillet 1645). En 1861, l’amiral Charner, administrateur de la Cochinchine nouvellement conquise, crée un Collège franco-annamite. En 1882, la nouvelle écriture est employée dans les actes administratifs, elle devient requise en 1910 et se généralise en 1920. Elle évoluera encore au cours du siècle dernier et sera utilisée pour transcrire des langues ou dialectes pratiqués sur le territoire vietnamien. Au XXIe siècle, sa génèse semble achevée.

Les corps 8, 10 et 12 du Bodoni ont fait l’objet d’ajouts afin de couvrir l’ensemble des caractères à signes suscrits et points souscrits du vietnamien manière ‹ la tinh ›.

zend avestique

L’écriture dite zend avestique est celle des inscriptions pehlevi, reprenant des variantes de formes araméennes, incluant la notation des voyelles, réduisant le nombre des ligatures et introduisant le point séparateur précédé ou suivi ou non d’un espace intermot facilitant l’harmonisation des lignes (justification). Cette écriture se traçant de gauche à droite, il n’est pas rare que la partie gauche d’un pavé débute par un signe de début de phrase et aligne des points jusqu’à l’occurrence du prochain signe (trois petits ‹ zéros › en triangle, disposés tels les points abréviatifs maçonniques) de début de phrase. L’écriture de l’avesta est celle des textes fondateurs et liturgiques de la religion zoroastrienne (ou mazdéiste), marquée par le dualisme (comme la religion manichéenne). La langue avestique était répandue dans le nord-est du monde perse (et influença le tadjik ainsi que d’autres langues). Les manuscrits des textes de Zoroastre (Zarathoustra) dateraient du Xe siècle mais seules des copies, dont les plus anciennes proviennent de la seconde moitié du XIIIe siècle, ont été retrouvées. Un tel manuscrit, celui du Vendidad Sadé, fut obtenu par la Bibliothèque royale et reproduit en lithographie par Eugène Burnouf en 1829.

Les premiers poinçons de l’avestique furent gravés en 1833 (105 de corps 16) et 1834 (86 de corps 10) par Marcellin Legrand. Des corps 8 et 11 suivirent, obtenus par homothétie de 1864 et 1867. L’écriture pehlevi, de corps 14, est aussi représentée par 45 poinçons dus, en 1838, au même Marcellin Legrand.

Les caractères français de prestige

La collection des poinçons du Cabinet a été classée monument historique en 1946. Elle s’est enrichie ensuite d’apports, en provenance de la fonderie Haas (fondée à Bâle en 1580, localisée à Münchenstein par la suite, qui détient les droits de la fonderie Deberny Peignot depuis 1972, et de la fonderie marseillaise Olive depuis 1978), qui légua des poinçons de la fonderie Peignot, de la fonderie catalane de Neufville, ou d’autres donateurs (fleurons, signes pour la composition musicale et des sciences). Un classement complémentaire est intervenu en 1994 à l’initiative de Christian Paput, maître d’art, et dernier graveur français.

« Il y a là, dans ces ateliers sombres, de jeunes hommes en longues blouses blanches (…), de jeunes typographes aussi savants que Sylvestre de Sacy, inspecteur général de la typographie orientale, ouvriers qui composent des livres arabes, chinois, hindous, connaissant les caractères, parlant de la littérature indochinoise tout comme des mandarins, et qui en remontreraient à des membres de l’Académie des inscriptions. (…) Les travaux en chinois, en annamite, en tibétain, en pehlevi, en vieux persan, en éthiopien, en guzerati sont journaliers à l’Imprimerie nationale, et particulièrement ceux en sanscrit, en arabe et en hébreux. » Cette citation de Jules Claretie, de l’Académie française, président du Livre contemporain, est extraite de la préface des Débuts de l’imprimerie en France, l’Imprimerie nationale, l’hôtel de Rohan (Paris, Imprimerie nationale, 1904). Suivait une première partie « composée avec les caractères désignés sous le nom de gothique Christian gravés en 1902 par Hénaffe. » La seconde (sur les débuts de l’Imprimerie nationale), est indiquée composée « avec les caractères romains désignés sous le nom de caractères de l’Université gravés en 1540 par Claude Garamond. » La page 74 montre un Allemand « fourni en 1836 par M. Dresler, de Francfort. » Suivent les arabes coufique et karmatique (de Renard, 1806), le maghrébin, et le « neskhy » de Robert Granjon du « fonds des Médicis », de 1586. Les araméens sont suivis d’un « arménien régulier » et du cursif de 1829, dû aussi à Delafond. Nous n’énumérerons pas tous les caractères reproduits dans cet ouvrage, qui valait spécimen, mais simplement ce qu’il nous indique sur les caractères employés ou reproduits et qui n’aurait pas ici été signalé auparavant. La période révolutionnaire est évoqué en caractères de 1693 de Philippe Grandjean et Jean Alexandre « désignés sous le nom de types de Louis XIV. » Comparativement à l’édition de 1963 de Le Cabinet des poinçons…, entre l’éthiopien et le « guzerati », ces Débuts sautent allègrement quelques systèmes et alphabets. La « période contemporaine » est présentée en « types poétiques gravés en 1740 par Louis Luce. » Dans cette partie figurent notamment un géorgien ecclésiastique et un autre, « vulgaire », suivis des grecs, dont le « grec Garamond » et l « ordinaire » (de Ramé père). L’himyarite et le « tamacheq » sont rassemblés en une planche. La dénomination « magadha » (du nom de la capitale de l’empire d’Asoka) est attribuée, comme c’était l’usage aux débuts du siècle dernier, à l’écriture brâhmî. Et la page 128 est réservée à une planche de « Japonais (hira-kana). — Gravé en 1854 par Marcellin-Legrand, sous la direction de M. Léon de Rosny (1 corps). », laquelle planche manque bizarrement à l’ouvrage Le Cabinet… de 1963. Un autre « Japonais (Kata-Kana) », cette fois de 1818 et de Jacquemin (2 corps) suit deux pages plus loin. Le chapitre sur la « Situation actuelle » (à l’époque, transfert de l’hôtel de Rohan à la rue de la Convention), est composé « avec les caractères romains désignés sous le nom de caractères millimétriques gravés en 1812 par Firmin Didot. » Suivent diverses planches, dont celle du javanais et du « Mandaïte » (l’écriture mandéenne gravée par Froyer sous la direction de J. Euting, orientaliste arabisant, historien de la judaïcité strasbourgeoise, qui dota la bibliothèque universitaire de Strasbourg d’un large fonds de papyrus). Suivent les latins et l’écriture mandchoue. Pour les cyrilliques, un « Slavon. — Gravé en 1863 par Aubert frères (1 corps). » vient faire le pendant du « Russe » de Lœuillet qui n’est pas encore qualifié d’« ancienne gravure » en 1904. Le « Vieux Persan » et le « Zend » fermaient la marche de cette deuxième partie suivie d’une évocation du passé en « caractères romains gravés en 1818 par Jacquemain. » Ils conservent la petite barre ajoutée à la gauche des fûts des lettres l, qui est l’une des marques distinctives des caractères issus des ateliers de gravure de l’Imprimerie nationale et à son exclusif usage. Un chapitre consacré à Cagliostro « composé avec les caractères romains désignés sous le nom de types de Charles X gravés en 1825 par Marcellin-Legrand » est suivi d’un récit anecdotique composé avec des caractères dits de « nouvelle gravure gravés en 1847 par Marcellin-Legrand. » Cette nouvelle gravure introduit notamment d’assez surprenants guillemets à l’anglaise « reposant » sur la ligne de base. Le chapitre V de cette troisième partie, consacrée à Mesmer (le magnétiseur et hypnotiseur), est composé en « caractères italiques désignés sous le nom de caractères Jaugeon gravés en 1904 par Hénaffe. » C’est l’une des toutes dernières créations de caractères latins de l’Imprimerie nationale, et ces italiques sont assortis de romains, gravés la même année, employés pour le chapitre suivant, intitulé l’avenir. Cet avenir est bien sûr riant : « Le Gouvernement, se rendant compte enfin de tous les avantages qu’il peut retirer de son premier établissement typographique, appliquera d’une façon intégrale le décret de 1889 qui le régit. Peut-être même élaborera-t-il en sa faveur un régime plus libéral encore ! » C’est, semble-t-il, fait, quoique l’interprétation actuelle de l’épithète « libéral » prête peut-être à confusion pour les jeunes générations peu habitués aux largesses et libéralités gouvernementales en faveur d’établissements publics ouvriers. « Quel sera l’avenir de l’Hôtel de Rohan ? Déjà, en principe, sa disparition est résolue : les terrains sur lesquels il s’élève doivent être livrés aux enchères publiques, & le produit de la vente réservé (…). Mais bien entendu, les œuvres d’art qu’il renferme ne subiront pas le feu des enchères. L’État veillera à leur déplacement et à leur conservation. C’est ainsi que les boiseries qui décorent le Salon des Singes sont destinées au Musée des Arts décoratifs, tandis que la pendule & le bureau seront remis au Musée du Louvre. »

On sait que l’hôtel de Rohan fut dévolu, en 1927, aux Archives nationales. On y retrouve donc le fameux Salon des Singes. Ce n’était pas celui des compositeurs (les singes, en jargon de métier, en raison des mouvements de leurs bras et avant-bras, de leur dextérité à saisir les types dans les casses). Ce ne sera pas le lieu d’accueil du Cabinet des poinçons après son départ de la rue de la Convention. Mais on se prend à rêver d’un lieu proche, entre Conservatoire (des Arts & métiers) et Archives, ou alentours…

Mais, pour des raisons d’opportunité, un chapitre VII, « La colonisation par le livre » (pour lequel les gothiques Christian de Hénaffe sont de nouveau employés), vient plaider pour la confection d’encres végétales afin d’imprimer des corans en vue de propager l’islam en Afrique équatoriale. Il était indiqué notamment (par la reprise d’un article de l’explorateur Jean-Ferdinand de Béhagle) que « les abstractions du mysticisme chrétien ne semblent guère devoir trouver de place dans ces cervelles [celles des Africains sub-sahariens, notamment du Soudan] obtuses. » Il était question d’obtenir des commandes de l’État (du président Félix Faure, en 1898, puis du ministre des Colonies et des Affaires étrangères de l’époque (Théophile Delcassé), pour des corans et des livres islamiques composés dans les caractères arabes de l’Imprimerie nationale.

La quatrième partie de ces Débuts… est constituée d’appendices, la première étant consacrée aux caractères Jaugeon qui allaient servir pour une édition de luxe des Nuits d’Alfred de Musset (ce qui en assurait la promotion), les autres visant plus à faire valoir la lisibilité et l’élégance des caractères précédemment employés (gravure nouvelle, caractères millimétriques, types poétiques de Luce). Toutefois, l’appendice VI, portant le titre « Laboratoire d’essais », est composée « avec les caractères romains désignés sous le nom des types du Bulletin des Lois gravés en 1859 par Marcellin-Legrand. » En guise de colophon, un achevé d’imprimé (25 décembre 1904), suit la table des planches et des matières.

Quant à la troisième édition (ou émission ? il n’a pas été possible d’établir les différence), datée de 1963, de l’ouvrage Le Cabinet des poinçons…, si elle fait la part belle aux caractères étrangers, n’en met pas moins en valeur les types originaires de France en vue de transcrire prioritairement la langue française. Dans son avant-propos, Daniel Gibelin relève que l’Imprimerie nationale place aussi sa fierté dans la collection de caractères historiques latins dont la Nation lui a confié l’entretien et la préservation. « Le plus ancien caractère de cette collection est un garamont, » précise Daniel Gibelin en ajoutant qu’il « ne saurait être tenu pour la première expression des types du célèbre graveur. ». Les Garamond (ou Garamont) du Cabinet sont ceux que Jean Jannon racheta à la fonderie Egenolff de Francfort et céda à Sébastien Cramoisy. Les types latins présentés dans l’ouvrage sont donc ce Garamont, acquis par le premier directeur de l’Imprimerie royale, le Grandjean (ou Romain du Roi inspiré des dessins de la commission Jaugeon), le Jeaugeon gravé en 1904 par Hénaffe, le Luce de Louis-René Luce qui fut dénommé type poétique car il pemettait de « composer sans rejets les vers alexandrins. » Les Types de Charles X gravés par Marcellin Legrand achèvent cette rapide présentation des types latins. Car, bien sûr, il en est d’autres.

Frank Jalleau a fait revivre le Perrin pour l’ouvrage de René Ponot, Louis Perrin et l’énigme des Augustaux (éditions des Cendres, Paris, 1998), et fourni des versions numériques de bien d’autres caractères historiques dont, récemment, pour les jeux d’Athènes 2004, celle des Grecs du Roi. Le travail ne consiste pas à reproduire simplement des empreintes des poinçons et de les confronter aux impressions des caractères correspondants afin d’obtenir un moyen terme convenable et permettant d’atteindre une bonne lisibilité pour la plupart des corps usuels (du 5 au 6 des notes de bas de page au 72 de l’affichette). Mais c’est un autre sujet. De même qu’on pourrait débattre sur la préservation des copies numériques, sur le besoin de se confronter à la matière, besoin qui reste encore ressenti pour des raisons qui ne sont pas que sentimentales ou émotionnelles. Ne nous appesantissons pas. Mais nous y reviendrons, un jour, autrement.

(À suivre)