Les Vies parallèles
Par Paul-Marie Grinevald
Dans le monde très restreint des graveurs de poinçons, les vies de Michel Portron et de Jacques Camus ressemblent à un conte de fée. Ils arrivèrent au monde avec quelques jours de décalage, le premier le 10 mars 1930 et le deuxième le 18 du même mois. Ils se sont connus en apprentissage, sur les bancs de l’école Estienne, puis la vie les sépara un temps. Jacques Camus est parti travailler chez Deberny-Peignot de 1945 à 1973 où il perfectionne son art avec Mouchel, chef de l’atelier, et sous l'œil d’Adrian Frutiger. Camus participe, entre autres, à la gravure du « Méridien » et de l’« Univers ». Il y rencontre Ladislas Mandel. À la fermeture, Camus tient une station-service avant d’être embauché par l’Imprimerie nationale en 1975 où il retrouve Michel Portron. C’est en 1948 que ce dernier rentre à l’atelier de gravure de l’Imprimerie nationale que son directeur, Raymond Blanchot, vient de remettre en activité avec l’aide de Louis Gauthier (1916-1993), jusque-là graveur chez Deberny-Peignot.
Ils participèrent à la réhabilitation et l’entretien des poinçons de la très riche collection du Cabinet des Poinçons. Ils gravent durant les années 1950-1969 les poinçons du caractère dessiné par Louis Gauthier qui porte son nom.
Michel Portron doit abandonner la gravure à la suite d’un accident à la main. Il se consacre alors aux inventaires et à l’entretien des collections, ainsi qu’aux visites de plus en plus nombreuses. Jacques Camus, qui possédait la maîtrise parfaite de son art, grave les poinçons du corps 10 du Didot millimétrique, puis du corps 14 avec l’aide de Christian Paput pour l’adapter au point IN. Puis il refait les poinçons du corps 14 du Luce avec l’aide de Christian Paput et de Nelly Gable dont il a été le maître.
C’est donc au sein du Cabinet des Poinçons que Portron et Camus ont travaillé ensemble dans une franche amitié qu’ils cultivaient à l’extérieur. L’un et l’autre eurent trois enfants, comme Christian et Nelly, ce qui donnait un air très familial à l’atelier où malgré des caractères très différents régnait une ambiance chaleureuse. Nos deux amis avaient décidé de partir ensemble, mais le plan social les en a empêché. Michel Portron est parti en pré-retraite en 1987, alors que Jacques Camus ne put prendre sa retraite qu’en 1990. Ils nous ont quittés à quelques mois d’écart : Jacques Camus le 14 janvier 2005 et Michel Portron le 22 mars 2005.